L’apnée m’appelle et Dahab m’accueille. Dahab ne m’appelle pas, elle m’accueille. Sans moi, elle reste pleinement vivante. Encore son âme danse au tempo des vagues orchestrées par cette étrange collaboration entre le vent et la lune. Elle demeure entière sans ma présence. Dahab m’aime mais elle n’a pas besoin de moi.
Si sans moi Dahab ne meurt pas, moi je m’éteins doucement sans l’apnée. À l’image des mètres de corde qui défilent sous mes yeux, je chute vers les abîmes de la dépression à mesure que le temps passe et me sépare de cette activité. La vie n’a plus le même goût ni la même couleur. La vie n’a plus le même but ni ne me procure la même excitation. Rendez-moi ces sensations !
Je flotte à la surface de l’eau et respire. Mon corps ondule au rythme des vagues qui me bercent ou me submergent, c’est selon mon état de relaxation. Une dernière profonde respiration et je plonge.
Sous l’eau, il me faut quelques secondes pour retrouver des repères : principalement la corde qui joint la surface à la profondeur en reliant la bouée au poids de fond. Je me rapproche de cette corde pour pouvoir la lire sans effort.
Premier marquage, je suis à dix mètres. Ce n’est que le début de la descente mais l’action en soi est violente ! Se couper de mes besoins les plus fondamentaux : l’air, la lumière, la chaleur. Se couper de ma réalité d’êtres aériens évoluant dans un environnement connu et de ce fait rassurant, pour pénétrer délibérément dans le méconnu, le sombre, le trouble. À ce stade, je ne ressens pas encore de grande nuance physique et l’exercice conserve le goût du jeu.
Vingt mètres, la chute libre. Instantanément, je me tends et commence à paniquer. L’air vient à me manquer pourtant, j’ai quitté la surface il y a seulement quelques secondes. Je dois apprendre à me faire confiance et taire cette voix paniquée qui m’interpelle : « Pourquoi m’empêches-tu de respirer ? Je vais suffoquer ! Pourquoi veux-tu aller dans les profondeurs de l’océan ? Cet endroit me fait peur ! Pourquoi recommences-tu encore et encore ? Je n’en peux plus ! »
La raison doit s’accommoder de ce que je le lui impose sans raison ni logique, sans mobile ni motif. « Détends-toi. Relaxe-toi. Laisse-toi aller. Laisse-toi aimer. Profite de ce voyage à l’intérieur de toi-même. » Ce sont les mots que je me fredonne en attendant patiemment d’atteindre les trente mètres. L’esprit finira par se calmer bien avant que le corps physique, lui, ait le temps de s’adapter. Le mental baisse donc les armes et laisse la place à ce qu’il se passe réellement : une connexion. Une connexion surpuissante avec soi et l’environnement qui entoure ce soi à cet instant précis.
Trente mètres, là où mon corps n’en peut plus mais où ma détermination en réclame encore. Il faut pourtant remonter ! Car avant d’aller plus loin, je dois laisser le temps à mon anatomie de s’adapter à cet environnement insolite. En effet, certaines zones de mon organisme doivent s’ajuster afin de mieux répondre au stimulus principal du milieu subaquatique : la pression. Me muscler et m’assouplir me permettront de faire face avec davantage d’aisance aux bars qui croissent à mesure que les mètres décroissent.
Immergé, tu n’es plus totalement toi-même. Ton identité se dissout insensiblement entre les molécules d’H2O, comme de l’aquarelle se dilue sur du papier humide. Surtout laisse la partir ! Et laisse-toi planer doucement dans ce monde irréel. Tu rentres en fait dans un état hautement méditatif.
Le temps n’est plus maître de rien à présent. Le présent a repris son pouvoir sur le temps qui passe. Et le temps passe sans que tu ne te rendes compte de rien. Tout ton corps vibre à la même fréquence que l’océan. Tu te fonds littéralement dans ce décor. Tu es de l’eau dans l’eau. Chacune de tes cellules se rappelle alors d’où tu viens et reconnecte avec l’origine de la vie sur Terre. Il y a des millions d’années, tu étais un être aquatique. Mais tu sais quoi ? Tu l’es toujours !
Ton corps, surprenante réalisation de l’évolution, a conservé certains réflexes qui te permettent d’aller rendre visite à maman océan. En effet, le rythme de tes battements cardiaques diminue afin d’économiser davantage d’oxygène. Le diamètre de tes vaisseaux se modifie pour rentabiliser au mieux l’apport de cet oxygène là où il est le plus nécessaire. Ta rate se contracte et libère ainsi des globules rouges de réserve, ces petites cellules, pas plus grandes que 7 microns, qui transportent l’oxygène à travers tes vaisseaux. Tes poumons s’adaptent concomitamment à la pression grandissante, tout au long de ton voyage aquatique.
Presque malheureusement, pendant ce temps-là, tu dois quand même réfléchir à deux, trois trucs. Il va falloir compenser la pression appliquée sur tes tympans par le volume d’eau qui t’entoure. Il va falloir relaxer les muscles de ton abdomen et tous ceux dont tu n’as pas besoin à cet instant précis. Il va falloir adopter la position la plus aérodynamique possible afin que ton corps devienne comme une balle qui fend l’eau, comme une balle fendrait l’air avant d’atteindre sa cible. Sauf qu’ici il n’y aucune cible à atteindre, sinon peut-être celle d’être reconnecté au berceau de la vie sur Terre : l’Eau.
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