Il est 1 heure du matin au Caire. Assise à une table devant la station Tahrir, j’observe le cortège des bus qui se garent, se vident, se remplissent à nouveau, puis s’en vont. Il y a au moins un départ toutes les 5 minutes. La voix du garçon qui commente, dans un micro mal réglé, ce ballet de cars me sort de mes rêveries. Soudainement, j’ai réalisé qu’il parlait arabe, et que si je ne voulais pas rater mon bus, il allait falloir que je me lève et que j’aille demander, en anglais, lequel de ces cars est en partance pour Dahab.
À ma place dans le bus, je me réjouis que le siège à côté de moi soit libre. Pour ce deuxième long trajet d’affilée, je pourrai dormir confortablement couchée sur deux sièges, ce qui n’avait pas été le cas dans le bus précèdent et m’avait beaucoup manqué. Tout autour de moi, j’entends parler arabe. C’est bizarre de ne rien comprendre à ce qui se dit mais en même temps, ces sons me bercent, je les trouve mélodieux. Un bref coup d’œil par-dessus les sièges me révèle que je suis la seule passagère occidentale.
Depuis la fenêtre, je vois rentrer dans le véhicule un groupe de cinq jeunes égyptiens. Tout allait pour le mieux, jusqu’à ce que l’un de ces garçons vienne s’asseoir à côté de moi. Adieu mon rêve de sommeil profond bercé par les mouvements du car et la mélodie des voix arabes, adieu ! A moi le torticolis, les douleurs aux fesses d’être restée assise trop longtemps et les jambes endormies qui picotent douloureusement lorsqu’elles se réveillent. Je n’ai d’autre choix que d’accepter la situation pour un nouveau voyage de 11 heures mais l’expression de mon visage ne cache pas ma colère ! Je me tourne alors vers la vitre interdisant toute communication entre ce nouveau venu et moi.
Le bus a à peine démarré, je ferme les yeux dans l’espoir de trouver le sommeil. C’est alors que mes tympans se font désagréablement titiller par des sons provenant directement de ma gauche. Je tourne la tête et vois mon voisin, sur son smartphone, en train de faire défiler son fil d’actualité Instagram. Seulement, dès qu’il passe sur une vidéo, celle-ci se met automatiquement en route, le son également ! Il la regarde une seconde ou deux, puis continue de scroller jusqu’à la prochaine vidéo. Ce manège se poursuit pendant de longues minutes sans qu’il ait l’air de réaliser qu’il me dérange. J’étais prête à accepter sa présence – même si, j’avoue, j’aurais largement préféré qu’il ne soit pas là ! – mais si maintenant, il se met à écouter, en haut-parleurs, des vidéos stupides pendant tout le trajet, je crains qu’il n’y ait un mort avant qu’on arrive à bon port. Par pitié, faites-le taire ! Ou bien faites qu’il ait mangé un truc empoisonné avant d’être monté dans ce bus ! D’accord, je suis exécrable mais sait-il que j’ai déjà vingt heures de voyage dans les dents ?
Je suis à ce point épuisée que je parviens tant bien que mal à dormir. Je me réveille très régulièrement mais immédiatement, je replonge dans la torpeur. Le bus abat les kilomètres sans que je ne m’en rende vraiment compte. A deux reprises, c’est un agent de sécurité, monté dans le véhicule, qui me sort de ma léthargie pour vérifier mon passeport. Pendant les arrêts, si je ne dois pas aller au petit coin, je ne quitte pas mon fauteuil, ce qui me permet de dormir la tête contre la vitre dans une position stable pendant quelques précieuses minutes. Et, lorsque je ne veux pas somnoler, j’observe mon voisin et ses quatre amis depuis ma fenêtre. Ils sortent à chaque pause car certains d’entre eux sont fumeurs, heureusement pas mon voisin dont la présence, je l’avoue, ne me dérange plus tant que ça désormais. Il n’a pas l’air bien méchant en fin de compte et il est plutôt calme.
Il est 6 heures quand je reprends à nouveau mes esprits. Le bus est à l’arrêt et le chauffeur crie quelque chose en arabe dans le véhicule. Comme je ne comprends pas, je demande à mon voisin ce qu’il se passe.
« Contrôle de sécurité. » me dit-il.
« Encore ! » m’exclamé-je. En effet, on ne les compte plus.
« Oui, on doit descendre du bus, sortir nos valises et les ouvrir devant les militaires pour qu’ils les vérifient mais tu n’es pas obligée de descendre. » m’explique-t-il.
« Pourquoi ? » réponds-je d’un air étonné.
« Au précédent contrôle, tu n’es pas sortie et personne ne t’a rien dit. » m’apprend-il.
« Ah bon, il y en a déjà eu un ? Je ne m’en suis même pas rendu compte… Je devais dormir. » lui dis-je, surprise.
« Ne t’inquiète pas, tu n’as pas vraiment l’air d’une hors la loi, tu peux rester dans le bus. » me répète-il.
« Hors de question ! Tout le monde à la même enseigne, l’européenne aussi ! » insisté-je ne voulant pas rater une miette de ce qui allait se passer. Nous descendons ensemble du bus et nous dirigeons vers la soute, au milieu des autres passagers.
« Laquelle est la tienne ? » me demande-t-il face aux valises.
« La grosse rouge, là. Mais tu vas te casser le dos, elle est super lourde ! » lui dis-je, ayant compris son intention. Sans lui avoir rien demandé, il prend ma valise et la dépose sur le macadam, à côté de moi.
« Merci » lui lancé-je, avant d’aller m’aligner aux autres voyageurs, valises ouvertes, sur ce parking en plein désert. Je n’ouvre pas la mienne de plein gré, j’attendrai qu’on me le demande. Je n’ai pas tellement envie d’exposer l’intérieur de mon sac vu la manière dont j’y ai entassé mes affaires à la hâte ce matin. J’espère qu’ils ne vont pas tomber nez à nez avec une petite culotte sale.
Finalement, personne ne vérifia ma valise. De retour dans le bus, mon voisin et moi nous retrouvons côte à côte, tous deux bien réveillés cette fois. Naturellement, nous commençons à faire connaissance et il s’avère que nous nous entendons plutôt bien. Il a trois ans de moins que moi, il s’appelle Shérif. A partir de là, nous parlons sans arrêt, nous rions aussi beaucoup. Nous sommes devenus des complices, liés par la curiosité que nous nous portons mutuellement. Lui parler est pour moi une occasion d’assouvir mon intérêt pour le monde arabe. Je lui pose sans cesse des questions sur les coutumes musulmanes, ce à quoi il répond toujours avec beaucoup de tact. Je découvre un garçon très respectueux de son peuple, tout en étant ouvert d’esprit et tourné vers le monde extérieur.
À la pause suivante, Shérif et ses potes sont, comme à leur habitude, dehors et moi, j’essaye de somnoler. C’est alors qu’un passager du bus – un jeune gars que j’avais repéré tout à l’heure – me tend, par-dessus les sièges, son coussin. Je suis tellement étonnée par la gentillesse de ce garçon, à qui je n’avais jamais adressé la parole, qu’il me faut un certain temps pour lui répondre et le remercier. Comment l’idée lui est-il venue de me tendre son oreiller ? Personnellement, je n’aurais jamais prêté le mien à qui que ce soit dans ce bus, je suis bien trop possessive de mes affaires. Mais à présent, je me remets en question… Son geste m’a à ce point fait plaisir qu’il me donne envie de poursuivre cet élan de solidarité. Alors, quand Shérif revient, je lui propose gaiement l’oreiller. A l’expression de son visage, je vois qu’il ne comprend pas d’où sort cet objet et c’est tout juste s’il n’a pas l’air de croire que je me moque de lui. Après des explications, il refusa poliment mon offre décrétant que j’en avais davantage besoin que lui étant donné que j’étais en route depuis plus longtemps.
Entourée de ces compagnons de passage bienveillants, je réalise à quel point les égyptiens, attentionnés et élégants, sont des exemples de savoir vivre. La tête appuyée sur un oreiller tombé du ciel, je ferme les yeux et sombre aveuglement dans un profond sentiment de bien-être.
La suite de cette histoire n’appartient qu’à celles qui ont le courage de plonger dans l’inconnu.
” Voyager seule, c’est se laisser surprendre par ces rencontres qui se succèdent spontanément et nous transforment, grâce à quoi nous aurons le privilège de devenir des versions plus accomplies de nous-mêmes. La magie qui opèrera alors prendra la forme du bonheur, laissant sur notre passage une odeur de parfum fleuri qui fécondera encore bien des surprises. ”
Marine Gendebien
Quel plaisir de te lire! C’est une sacrée expérience enrichissante ! Je ne suis pas encore partîe de chez moi , mais tu m’as déjà ouvert un peu Et donné envie de m’ouvrir encore plus 🙂
Merci Sophie 🙂 Prends soin de toi
Je viens de découvrir ton blog, bravo ! C est très agréable à lire et j’ai hâte de connaître la suite de tes aventures !
Merci beaucoup Virginie. Ravie que ça t’ai plus et la suite arrive bientôt 🙂